Petites histoires d’un haut lieu essentiel de l’underground bruxellois, au passé riche et mouvementé, mais au destin (encore et toujours) incertain !
« La création du Magasin 4 (la première incarnation) est intimement liée à l’aventure (ou mésaventure) d’une autre salle, le Bulten, un grand lieu laissé à l’abandon qui se trouvait alors le long du Canal de Bruxelles. Un label de disques y avait ses propres bureaux et son studio, mais le lieu se destinait avant tout à des ateliers d’artistes. L’aventure a duré à peine un an et demi avant sa mise en faillite, mais on se souviendra quand même des quelques belles fêtes y ont eu lieu, ainsi d’ailleurs qu’un concert mythique de Lee Scratch Perry ! ». Se souvient Denis Colinia, habitué du Bulten et très tôt embarqué dans l’aventure, dans le sillage du triumvirat originel – Eric Lemaître (qui a joué au sein de PPZ30), Michel Van Achter et de Jean Malotras (organisateur des soirées Atomix) – qui s’est alors mis en quête d’un lieu plus petit pour y faire jouer les groupes qui leur plaisaient. En gros, offrir une visibilité scénique à toutes ces nébuleuses de groupes underground ( ?) rock, punk, metal, ska, post-punk, festifs (….) sans soutien de (gros) labels, et/ou qui ne rentrent pas dans les critères de programmation des salles subsidiées dans le Bruxelles du début des années 1990.
En 1994, ils investissent un entrepôt situé 4, rue du Magasin (qui deviendra le nom de la salle) sans un sou en poche. C’est un bâtiment à trois étages où l’on entrait par une sorte de poterne en bois. On entrait directement dans un premier espace qui disposait de son propre bar, et ou pendant un moment, des gens du Travers ont organisé des concerts jazz. Une ancienne cage d’ascenseur servait de guichet pour les concerts de rock et d’électro qui étaient organisé au premier étage, un lieu d’une capacité de 150 à 200 personnes. L’endroit disposait d’assez d’espace pour abriter deux locaux de répétition, devenus repaires pour autant de groupes bruxellois influents à l’époque comme PPz30 et The Semitones. On pouvait trouver des chambres/cuisines/loges au second, et encore un autre étage avec mezzanine au-dessus, où habitait alors Christophe (Masson, toujours dans le collectif à l’heure actuelle) ! Toutes ces facilités permettaient de loger les groupes en tournée à moindre frais.
Dès l’origine, le fonctionnement de l’ASBL Magasin 4 (du nom d’Entropie) se fait sur une base exclusivement bénévole et le manque de moyens explique le grand nombre de fêtes en regard du petit nombre d’évènement live organisés les premières années. Petit à petit l’offre concerts a pu s’étoffer jusqu’à se passer totalement de l’aide financière de soirées. Et ce malgré une politique de tarification scandaleusement maintenue aussi basse que possible, le prix d’entrée concert au tarif d’un ticket de cinéma… Depuis l’origine jusqu’à maintenant, on peut chiffrer à environ 500 le total des bénévoles qui ont donné de leur temps, avec en permanence, une centaine d’actifs, et parmi eux, une trentaine de super-actifs !
Seul menu inconvénient des habituées ou visiteurs occasionnels venant parfois de loin ou tributaires des réseaux de transports en commun, des concerts qui ont bien du mal à commencer à l’heure, par la faute d’un public qui a pris l’habitude d’arriver tard. Autre contrainte locale, pas toujours très appréciée des « roadies », l’accès à la salle se fait uniquement via un étroit escalier en colimaçon, condamnant matériels et équipements lourds ou encombrant à rester sur le plancher des vaches ou même dans le van !
Pour anecdote, en cette ère de l’avant Internet, il existait une permanence téléphonique pour les contacts avec les groupes et le relais dans les media étaient surtout le fait d’animateurs radio qui, comme Jaques de Pierpont (infatigable Pompom de rock à gogo sur feu Radio 21) annonçait la programmation sur antenne et diffusait la plupart des groupes qui y jouaient !
La tradition de la boum de Noël autour des René Binamés date aussi de cette époque.
Mais, grosse frayeur quand, au mitan des années 2000, le bâtiment est mis en vente malgré les promesses d’un propriétaire peu scrupuleux. Obligés d’aller prospecter ailleurs, l’équipe orchestre un tel raffut médiatique que les autorités locales (la ville de Bruxelles) en viennent à leur proposer un nouveau lieu le long du canal. Un entrepôt situé au 51B, rue du Port à 1000 Bruxelles, (à deux pas du Barlok), mais d’une capacité de plus de 500 personnes !
Après d’intenses réflexions, le phénix Magasin 4 renait de ses cendres pour initialement 3 ans (devenues 10), dans une salle aux capacités d’accueil triplée, et où l’équipe bénévole va développer des trésors d’ingéniosité (et des heures de travail !) pour mettre la salle aux normes de sécurité, de chauffage et de bruit, et surtout atténuer, par des aménagements intérieurs simples et discrets, les impressions de froideur et de gigantisme que ce lieu pouvait initialement inspirer. On y entre comme par effraction dans comme un entrepôt joliment tagué à l’extérieur et presque cosy à l’intérieur. On paye son entrée dans une espèce de vestibule et on accède à la salle proprement dite en longeant un long bar où on trouve le stand merchandising maison à gauche et un mur d’anciens programmes à droite. Grande, spacieuse et à bonne hauteur, la scène offre un angle de visibilité tout bonnement exceptionnel. A la belle saison, l’un des côté s’ouvre sur un espace extérieur qui ressemble à une conviviale terrasse sauvage qui ferme pendant la durée des shows.
2009 voit la naissance d’un « nouveau » Magasin 4 .Car malgré un public qui a (un peu) vieilli, le voisinage d’un Barlok qui a quelque part repris le label « punk fauché » cher au Magasin 4 des origines, le lieu continue de fonctionner sur le même principe des grosses soirées qui financent les concerts découvertes. Et toujours sur une base entièrement bénévole (d’une soixantaine d’actifs) !
C’est aussi l’année d’arrivée dans l’équipe de Benoit Hageman (responsable de la programmation depuis 2009) qui s’est fait les dents d’organisateurs de concerts au sein du Blues Kot à Namur, du Quasimorock et du Belvédère. Un ancien habitué du Magasin 4 ancienne mouture et qui y avait d’ailleurs organisé des soirées de Noël de type Massacrés Belges. !
« A l’époque du « redémarrage », l’ASBL manquait de personnes pour les parties administratives, de gestion, promotion, programmation, production, et que j’ai prise sur moi. J’assure l’interface (je réponds aux mails L’ASBL a été stabilisée et les coproductions se font moins nombreuses (moins de 3 par mois), mais on les fait avec des gens de confiance comme Heartbreak Tunes (metal, hardcore), Flying Platane (ska, punk, festif) ou encore les Fantastique.Nights (new wave)… »
Ces nouvelles capacités leur ont permis de montrer « plus d’ambition artistique » dans les choix de programmation et tester leurs capacités d’organisation lors de gros évènement comme les 20 ans en 2014, du sold-out régulier d’un festival Black Metal international, ou de la venue de formations emblématiques ou « cultes » comme Napalm Death.
Désormais, les concerts commencent absolument à l’heure (19h30), sont sanctionnés d’un curfew scrupuleusement respecté de 22heures, quoique assoupli les week-ends !
Une « montée en puissance » certainement pas synonyme de professionnalisation rampante : « la programmation relève de choix concertés et collectifs qui tiennent compte des impératifs financiers. Le Magasin 4, ce n’est manifestement pas une personne, c’est une équipe à tous les niveaux. On organise des réunions d’écoute collective. On fait un premier tri des propositions qui ne collent pas avec la programmation du M4. Pour les groupes en tournée, on reçoit le mail, on en discute en équipe et on s’accorde sur les conditions d’accueil, d’une place disponible dans l’agenda (avril/mai sont des mois chauds). On doit au moins compter sur deux motivés dans l’équipe avant de revenir vers le groupe avec une proposition assortie d’un oui/non, tout en restant souple sur les conditions finales (si on a vraiment envie de les faire, on accepte parfois de payer davantage. On est aussi prêts à faire jouer les groupes les jours difficiles (à prix plus bas).
Depuis longtemps intégré au circuit du Club Plasma un service de la communauté Wallonie Bruxelles. Le Magasin 4 a obtenu pour la première fois de son existence un contrat-programme (standard) de 5 ans fois, en lieu et place d’un subside annuel. Et comme le rappelle Ben « il y a toujours de la place pour une découverte locale en première partie d’un groupe en tournée. On leur demande juste une démo et la décision de les faire jouer se prend en réunion collective d’écoute.
Si le rêve ultime de l’équipe (et de Ben) serait de faire jouer des groupes fétiches comme Melvins, Shellac ou Neurosis (devenus hors de prix), « la motivation au quotidien se nourrit toujours de ces concerts de 50 personnes où 35 repartent avec un album d’un des groupes. On a du reste des artistes fidèles et des publics (très) fidèles ».
Mais après dix nouvelles années d’activisme, la menace d’une expulsion, sous couvert d’un réaménagement complet du plan de secteur du quartier du Port, refait surface en 2017-2018.
Et à l’heure actuelle, l’avenir du Magasin 4 est à moins d’un an des élections, toujours sujet à caution. A suivre. (YH)