Théâtre 140, 140 avenue Plasky, 1040 Bruxelles. (1963– actuel)
Au 140 de la Chaussée d’Ixelles, au fond d’une minuscule friterie nommée l’Auberge du Cheval Blanc, se trouvait une salle de bal où Jo Dekmine – qui rebaptise l’endroit « La Poubelle » –programma comédiens et musiciens, à la manière d’un cabaret itinérant. Barbara s’y sent comme chez elle (comme elle en témoignera dans son Il était un piano noir : Mémoires), Jacques Brel trouve lui l’endroit trop marginal mais une vocation est née chez Dekmine qui continuera à exercer ses talents d’intermédiaire culturel pendant son service militaire en Allemagne puis en 1955 à la Tour de Babel, au n° 7 de la Grand Place où se produiront chanteurs, chansonniers et poètes (dont Robert Desnos et Henri Michaux). 1960 voit l’ouverture de L’Os à Moelle, cabaret près de la place Meiser, où chanson et jazz se succèdent. On y retrouvera, outre quelques amis déjà fidélisés à l’homme via ses précédentes aventures, Dexter Gordon, Bobby Jaspar, Nicole Louvier ou encore Ricet Barrier. Soit du jazz et de la chanson, dans une volonté d’ouverture.
1962 ou le pied dans les rouages de la grande aventure: Dekmine est nommé à la barre d’une belle frégate – que le directeur lui-même surnommera sa « baraque de foire » – de 600 places, à une encablure de son cabaret. Il y a fort à parier, alors, qu’il n’imaginait pas, en programmant sa première saison en 1963 qu’il ne tirerait sa révérence (et encore !) qu’en 2015, laissant son ancienne assistante Astrid Van Impe reprendre ce sacré flambeau.
Ce qui restera de cette présence flamboyante au 140 ne pourrait tenir qu’en un mot : le culot! Un toupet imaginatif et débarrassé des clivages que lui reconnaîtra bien volontiers Piero Kenroll dans le deuxième chapitre de son Gravé dans le rock : « La banalité de cette dénomination, due au fait qu’il est situé au numéro 140 de l’avenue Plasky à Schaerbeek, n’est en rien révélatrice de sa programmation souvent fort audacieuse. A côté de pièces d’avant-garde, de one-man-shows plein d’humour et d’événements culturels divers aussi réjouissants qu’inattendus, Dekmine est le premier à oser la pop-music dans ses locaux. » .
C’est d’ailleurs tambour-battant que le rédacteur le verra débarquer dans les bureaux de Télémoustique pour leur soumettre une idée dont il a le secret, l’une des premières d’une longue série : le Pop-Event de Deurne. En Belgique, une première incursion de grande envergure sur le terrain exclusif de la pop n’est pas quelque chose qui va de soi : trop souvent, on mélange les genres pour diluer cette fougue du jeune auditeur, on cherche la demi-mesure. Face aux choix culottés de Jo, la presse n’est cependant pas unanime et adopte volontiers une position de recul, voire de mépris comme en témoigne cet extrait de compte-rendu paru dans la Dernière Heure le 7 mai 1968, quelques jours après les premières prestations des Pink Floyd au 140 : « Par ailleurs, des projections lumineuses forment une toile de fond dont les motifs sont censés compléter l’émotion suscitée par la partie sonore du show de Pink Floyd. Quant à la musique — terriblement bruyante — elle se range dans la catégorie « pop » chère aux très jeunes. ».
Devoir gérer des popstars aux rythmes et désirs pas tout à fait réglés comme des boîtes à musique, affronter les réactions parfois interloquées des journalistes n’ont pas Devoir gérer des popstars aux rythmes et désirs pas tout à fait réglés comme des boîtes à musique, affronter les réactions parfois interloquées des journalistes n’ont pas arrêté Jo Dekmine
arrêté Jo Dekmine dans sa volonté de tenir compte des goûts de ce nouveau public, jeune et en quête de spectacles innovants, confrontants, modernes.
Après cette première expérience concluante à Deurne, difficile de passer à côté, bien sûr, du climax du festival Actuel, et de sa programmation mêlant jazz (cool, free) et le meilleur de ce que compte la pop à l’époque. Cet épisode à haute portée symbolique et politique est raconté par le menu par Jean-Noël Coghe (un des pionniers de la critique française, alors tout jeune journaliste) dans son Autant en emporte le rock et retranscrit sur le très fourni site Mémoire rock 60 / 70 de Jean Jième.
Jo Dekmine, outre sa programmation à l’année au 140 où il continue à délivrer un mesclun de créativité, d’innovation et d’une part de provocation, mettra en place d’autres tentatives plus globales d’ouvrir les vannes, de donner à voir autre chose, de retrouver le sens de la fête. De semer les mauvaises graines de l’underground entre les pavés trop mornes.
Ce fut notamment le cas durant Schaerbeek libre au théâtre et dans la rue d’avril à juin 1971 (en collaboration avec le groupe Algol) où l’envie du directeur était de « provoquer chez le promeneur habitué de ce parc [ndlr : le parc Josaphat], le badaud occasionnel ou chez une foule plus particulièrement schaerbeekoise, une attitude critique, passionnelle vis à vis du système social-esthético-culturel qui leur est proposé par les marchands de succédanés et par un certain enseignement en panne de communication réelle ». D’Higelin à Gong en concert gratuit devant 6000 personnes, des facéties de la compagnie Ridiculous de New York alpaguant le passant à l’impact visuel des Tokyo Kid Brothers (troupe de théâtre musical japonais) au 140 même, rien ne semblait trop fou pour réussir le pari de sortir toute une commune de sa torpeur.
Dates (liste non exhaustive)
22-25 janvier 1963 : Léo Ferré
~20 février 1964 : Mouloudji
12 au 16 février 1964 : Serge Gainsbourg (avec Alain Ricar et Romain Bouteille)
14 au 23 octobre et 5 novembre 1965 : FESTIVAL DE JAZZ
Jam-session de jazz et ballet sous la direction de Benoit Quersin (avec Jacques Thollet, Lubin, Jacques Pelzer, Michel Roques et la « Jerome Andrews Dance Modern Company » ) + une vedette de jazz américain chaque soir dont Walter Dickison. Le 17 /10 trois séances de blues avec Memphis Slim et The Dixieland Stars. Le 5/11 : The Gerry Mulligan Quartett, avec le trompettiste Roy Eldridge.
7 février 1967 : « Maman j’ai peur », comédie musicale avec Brigitte Fontaine, Jacques Higelin, Rufus.
15-19 novembre 1967 : Maurice Vender et son Sextet + Normando (bossa) + Nicole Croisille + Pierre Barouh + Claude Nougaro
4 et 5 mai 1968 : Pink Floyd « le premier light show psychédélique londonien » + Roland and his Blues workshop + Dragon Fly. Annulation du concert du samedi.
19 et 20 octobre 1968 : Pink Floyd
16 octobre 1969 : Georgie Fame
21 juin 1969 : programmation du POP EVENT de Deurne : Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick & Tich – Fleetwood Mac – Chicken Shack (remplacé par Colosseum) – The Nice – Procol Harum (absents) – Freedom – Yes – Pebbles – Wallace Collection – Davy Junior and The Guess Who – Roland and the Blues Work Shop – J.J. Band – Tomahawk Blues Band
26-27-28 septembre 1969 : Pink Floyd.
24 octobre au 28 octobre 1969 : programmation du FESTIVAL “ACTUEL” d’Amougies
24/10/69
POP : Ten Years After – Colosseum –Aynslee Dunbar – Alan Jack
JAZZ : Art Ensemble of Chicago – Sunny Murray – Burton Greene
25/10/69
POP : Pink Floyd – Freedom – Keith Relf (Renaissance) – Alexis Korner
JAZZ : Grachan Moncur III –Arthur Jones – Joachim Kuhn – Don Cherry
26/10/69
POP : Nice – Caravan – Blossom Toes et groupes français
JAZZ : Archie Shepp – Kenneth Terroade – Anthony Braxton
27/10/69
POP : Yes – Pretty Things – Chicken Shack – Sam Apple Pie
JAZZ : Dave Burrell – John Surman – Clifford Thornton
28/10/69
POP : East of Eden – Fat Mattress – Captain Beefheart – Soft Machine
JAZZ : Alan Silva – Robin Kenyatta
3 octobre 1970 : Black Sabbath (captation TV Popshow).
17 janvier 1971: Soft Machine
22 avril 1971 : Free Show au Tir à l’Arc du Parc Josaphat : May Blitz – Burning Plague –Arkham – Kleptomania
13 mai 1971 : Emerson, Lake and Palmer
18 septembre 1971 : festivités du Parc Fou au Parc Josaphat – 2ème édition du Free Show : Gong – Tribu – Jellyfish – Daily Life.
12 octobre 1971 : The Velvet Underground (version Maureen Tucker) – Jellyfish
12 novembre 1971: Magma (live enregistré)
14 novembre 1971 : Redbone
1er janvier 1972 : Gong – Nico
2 janvier 1972 : Kevin Ayers – Gong – Nico
25-26 février 1972 : Matching Mole
14 avril 1972 : Flash, John Martyn
2 octobre 1972 : Pretty Things
11 décembre 1973 : New York Dolls
1er octobre 1974 : Electric Light Orchestra
10 -11 décembre 1974 : Queen
Du 5 au 13 octobre 1976 : Après ‘Sacco’ de Ricardo Caporossi (Club Teatro de Rome), une programmation musicale éclectique suivant les jours :
05/10 et 06/10 + 11-12 /10 : Jacques Doll (chanson décontractée)
07/10 : Kleptomania & Friends (pop)
08/10 : Abraxis (new jazz)
09/10 + 13/10 : Dany et Wim (contemporary folk)
10/10 : Tucker Zimmerman
18 décembre 1978 : The World Saxophone Quartet : Hamlet Bluiett, Julius Hemphill, Oliver Lake et David Murray (jazz)
20 décembre 1978 : Public Image Limited (premier concert du groupe)
3 décembre 1982 : Bashung interprète Gainsbourg